Catalogues
DÉSORDRE
Gregg Ellis / William Klein / Yves Jeanmougin /
Claire Hugonnet
Éditions Imago, 2010
Dans l’hémicycle
[…] Peut-être alors que l'acharnement de qui fait de l'art,
écrit ou peint, peut-être parce que ce tumulte lui est plus
pénible à porter, répond plus intensément à cette quête,
cherchant, dans la solitude de sa chambre ou de son
atelier, la secrète loi poétique qui le fera devenir, au
prisme de ses œuvres, un être un peu organisé, peut-être
même « légalisé » à ses propres yeux, peut-être
enfin « une chose publique ». Mais le pire, c'est
qu'il voudrait aussi que cette « loi », enfin
promulguée dans un livre ou dans une peinture, dans une
sonate ou dans un film, accueille toutes les nuances de son
âme, c'est-à-dire, en termes parlementaires, tous les
amendements et reformulations et négations demandés par
tant de forces venues de partout, de sa mémoire ou de ses
rêves, de ses modèles ou de ses caprices. S'il y parvient
quelquefois, alors il réussit ce qu'aucune démocratie n'est
jamais parvenue à faire, comme un rêve alchimique de la
coïncidence des contraires : l'ordre du désordre
lui-même.
Tanguy Viel
Préface
10e
Festival de Marseille
29 juin - 20 juillet 2005
Marseille, source d’inspiration
Marseille, 2 600
ans d’histoire méditerranéenne. Légende d’une noce. Celle
d’un marin venu d’Asie Mineure qui épouse une belle Ligure.
Ville métisse. Croyante et iconoclaste. Aventureuse, elle
domine les saints forts, à l’entrée du Vieux-Port,
construits pour la briser en cas de révolte. Généreuse,
elle se dresse en vigie, nourrie des Suds qui la composent,
le regard des origines rivé vers le lointain. Secrète, elle
déplace les lignes de partage.
Comme toutes les villes ports, tendue entre terre et mer,
Marseille surveille les hauts fonds en guettant les bruits
qui viennent de l’intérieur. Toujours à l’affût. En état de
veille. Ville mère, elle ne s’offre pas au plus aimant.
Elle aime. Dans un combat permanent. Pour se tenir droite,
solide, ouverte sur le monde, elle multiplie les
périphéries, ose les décentrages perpétuels. Toujours en
train de se remodeler, Marseille est une ville-chantier qui
offre à chacun sa parcelle d’espace, de terreau commun. Une
ville laborieuse, traversée de contre-courants, rappelant à
tous qu’elle se mérite.
Impossible d’évoquer le Festival sans parler de sa ville.
C’est elle qui lui insuffle ce goût du voyage, ce désir de
conquête, cette jouissance que produit la découverte, cette
fierté que procure le partage. Mais aussi cette si
particulière impertinence quand, en toutes circonstances,
elle s’arroge le droit d’afficher ses différences, de
revendiquer sa liberté d’esprit. Et fait le pari de se
vivre en toute imagination.
Impossible de parler du Festival sans évoquer Louis
Brauquier (1), poète du mouvement des navires, de l’attente
dans les ports, des foules animées. Depuis dix ans la
manifestation grandit au creux de ses chants :
« Toutes les puissances du globe
Sont là, dans la ville maritime
Où débarquent, brûlent et passent
Les races multipliées.
Dans la cohue des idiomes,
Au hasard des chants et des rixes,
Et surgissant des faits divers,
J’exalte toutes les puissances. »
1. Louis Brauquier a consacré
plusieurs ouvrages à Marseille, sa ville natale. Fil rouge
des images de ce portfolio, les citations sont extraites
de Je connais des
îles lointaines, poésies complètes,
La Table ronde, 1994.
Parlez-moi
d’Alger
Marseille-Alger au miroir des mémoires
Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2003
L’ouvrage retrace sept siècles de relations entre deux
villes-phares, deux villes-sœurs :
Marseille et Alger. Si les relations religieuses,
politiques et commerciales (croisades, esclavage,
colonisation, migrations forcées, guerre d’indépendance,
exils…) mettent en évidence des dissemblances entre les
deux cités, les témoignages concrets de la vie des gens
font apparaître entre elles de grandes similitudes. Ils
disent tous, du nord au sud, du sud au nord, le même goût
pour la lumière, les parfums, les saveurs, les musiques et
les paroles… Ils disent l’amour de la Méditerranée-mère,
celle que l’on retrouve au cœur des œuvres d’Albert Camus,
Gabriel Audisio, Jean Amrouche… L’ouvrage est ponctué par
des photographies d’Alger de Djamel Farès et de Marseille
réalisées par Yves Jeanmougin.
Alger-Marseille, des mémoires pour
l’espoir
Alger, Marseille :
par quelle illusion ces villes sont-elles si fréquemment
données pour semblables, jumelles ?
À ne considérer que les faits objectifs, elles sont si
différentes… Certes, l’une et l’autre sont
maritimes ;
mais si le commerce les a rapprochées dès le Moyen Âge,
elles ont souvent souffert d’être séparées par les
circonstances politiques. La guerre de course qu’avec
d’autres cités barbaresques et parfois plus efficacement
qu’elles Alger a livrée contre les flottes commerciales
chrétiennes jusqu’au début du XIXe siècle a laissé des
traces réelles, quoique imprécises, dans la mémoire
commune. La célébrité des grands raïs, l’aventure d’un
Geronimo – l’esclave qui refuse d’abjurer sa foi –, les
interdits commerciaux longtemps faits aux musulmans à
Marseille sont les faces contrastées d’une même histoire.
Certes, les réunit aujourd’hui leur urbanisme extensif,
Marseille au plus loin de son cirque rocheux, Alger dont
les faubourgs se répandent jusqu’à l’entrée de la Mitidja.
Leur architecture, pour conserver des vestiges d’un plus
lointain passé, n’en est pas moins dans les deux cas
dominée par l’expansion coloniale de la seconde moitié du
XIXe siècle, avec leur puissante ordonnance et la
place donnée, symbolique dans leur implantation au-dessus
de la ville et de la mer, à Notre-Dame d’Afrique d’un côté,
à Notre-Dame de la Garde – la Bonne Mère – de l’autre.
Elles ont encore d’autres traits en commun, comme le bleu
et le blanc, couleurs des deux cités, Alger dans la réalité
de ses façades, Marseille dans ses armoiries indéfiniment
multipliées. […]
Il nous a semblé que c’était une belle manière de commencer
un musée que de présenter à Marseille l’exposition
« Parlez-moi d’Alger, Marseille-Alger au miroir des
mémoires ». Celle-ci traite en effet d’un sujet
compliqué, douloureux mais, pour cette raison même,
susceptible d’enrichir le regard qu’il faut absolument
porter sur notre monde trop superficiel que les multiples
obscurantismes menacent toujours :
une nouvelle en chasse une autre, l’essentiel disparaît
dans l’anecdotique, le jugement est immédiat, réactif,
privilégiant les faux-semblants simples et commodes des
apparences médiatisées et des mémoires officielles
expurgées. Un musée comme celui des Civilisations de
l’Europe et de la Méditerranée que nous espérons, même si
son expression est adaptée à ses publics, vivante, ludique,
sera un lieu de calme, de réflexion, d’échange, de
tolérance. Les formes populaires de la culture, on le voit
bien avec Alger et Marseille, tendent toujours à ancrer
l’instinct de survie qui est celui de toute société sur des
pratiques, des rituels, des références symboliques
partagés. En cela, même si elles n’empêchent pas les
manipulations dont les pouvoirs ne sont
qu’exceptionnellement avares, elles reflètent une sagesse
dont il est urgent de s’inspirer. L’Histoire est édifiante
dans ses débordements mortels, elle ne l’est pas moins dans
ses réussites, et le « rêve d’Andalousie »,
vitale utopie, est nécessaire plus que jamais.
Michel Colardelle
Directeur du Musée national des arts et traditions
populaires
et du Musée des civilisations de l’Europe et de la
Méditerranée
Regards
croisés
Hongrie-Provence
La Fontaine obscure, 2001
Voici revenu le moment de notre festival et pour la
deuxième année, notre association s’ouvre sur l’étranger
par sa manifestation des Regards croisés. La Fontaine
obscure s’associe à sa manière à un projet national, car
2001 est l’année de la Hongrie en France, et elle se devait
de rendre hommage à un pays qui est le berceau de nombreux
photographes mondialement connus comme Brassaï, André
Kertész, Robert Capa.
Le temps d’un festival, la Fontaine obscure veut faire
partager ses goûts, ses choix, ses coups de cœur avec un
large public, et faire découvrir certains aspects de la
création photographique hongroise actuelle en l’associant à
la création de notre région. Mais elle entend aussi créer
un cadre d’échange et de dialogue entre photographes et
amateurs par des rencontres et des colloques.
Depuis plus de vingt ans, par ses activités, par sa
galerie, la Fontaine obscure œuvre à la promotion de la
photographie en Provence. En pérennisant les Regards
croisés et en développant son travail d’ouverture vers de
nouveaux pays et de nouveaux artistes, notre association
souhaiterait contribuer à faire d’Aix-en-Provence un centre
important de rencontres et d’échanges sur et autour de la
photographie.
Marc Célérier
Président de la Fontaine obscure
30 Ans
de photographie
30 Photographes
Allauch 1967-1996
Phocal, 1996
Le pluriel, le singulier, et le
possessif
À première vue, le singulier sied assez mal à l’art
photographique. On dit « la » photographie, comme
on dit « la » peinture, pour désigner deux
médiums dont se sont emparés les artistes. Mais si dans le
cas de la peinture chaque œuvre (et même la pire croûte…)
est marquée du sceau de cette matière étrange et étrangère
au mortel commun, dans le cas de la photographie le médium
est devenu si familier au regardeur contemporain qu’il
passe couramment inaperçu, noyé dans une vertigineuse
débauche d’images.
Des photos ?
Il y en a partout. Dans les magazines, sur les murs, dans
nos albums de famille. Autant de lieux profanes. Des
peintures ?
Dans les musées, dans les galeries, dans les églises.
Autant de lieux de cultes.
Derrière une peinture, on cherche instinctivement une
expression, le désir d’une recréation, ou toute motivation
qui, dans le meilleur des cas, écarte l’objet pictural
d’une simple volonté décorative et le porte parfois (et
nous avec) vers l’empyrée… Voilà pourquoi on peut, à ce
titre, rassembler des œuvres même très disparates derrière
un singulier collectif :
« la » peinture.
Mais sous une photo, que trouve-t-on ?
Une publicité, une information, une illustration, un
souvenir ?
Il y a bien des alibis derrière une photo. Comment l’art,
dans cette turbulente famille, peut-il retrouver ses
petits ?
Comment peut-on dire « la » photographie,
singulier générique, quand tant d’images nous éloignent de
l’art pour nous plonger dans la crudité du voyeurisme, les
artifices de la séduction, les vertus documentaires ou
mélancoliques de la mémoire, ou la mièvrerie d’un
« joli » de carte postale ?
Le médium (le vecteur de l’image) ne peut donc à lui tout
seul justifier de rassembler dans un même sac ce qui est
communication et ce qui est expression.
[…] Derrière ces photos plurielles, derrière ces clichés
toujours plus nombreux, une magie particulière opère
parfois, et cette magie n’est plus, comme pour les
contemporains de Nicéphore Niépce, dans la surprise et
l’ébahissement de voir une part du réel reproduite avec
exactitude sur une plaque de cuivre ou du papier. […]
Mais le fait est là :
dans ce pluriel toujours plus foisonnant, nous distinguons
des images singulières. Et pour des raisons dont certaines
peuvent sembler objectives (en termes d’analyse
sémiologique, esthétique, psychologique) et dont d’autres
resteront toujours un peu obscures, nous faisons alors de
cette image – qui appartient à un autre – une image nôtre.
[…]
Yves Gerbal
Est-ce
ainsi que les hommes vivent…
Humanisme & Photographie
Marval / Maison Robert Doisneau, 1995
Robert Doisneau s’est fait, en France, le chantre d’une
vision enjouée et optimiste, rieuse souvent, de l’Homme et
de son environnement.
Cet attachement à illustrer la condition humaine, partagé
par bon nombre de photographes français de ses
contemporains, a conduit à les réunir en bien des
circonstances sous l’appellation commode de
« photographes humanistes »…
L’exposition inaugurale de la Maison Robert Doisneau de
Gentilly, dont ce livre rend compte, dépasse cette approche
réductrice en s’appuyant autant sur l’histoire de la
photographie que sur son actualité.
De Lewis Hine à la jeune photographie documentaire, elle
montre que l’humanisme, conçu comme position philosophique
– déterminée à œuvrer pour la dignité de l’homme, mais
fondée sur l’esprit de liberté et de tolérance, la
connaissance de soi et de l’autre – a nourri la démarche de
nombreux photographes par-delà les époques et les
frontières.
Elle permet, outre le parti pris novateur de son apport à
l’histoire de la photographie, de découvrir des auteurs et
des mouvements méconnus, telle l’importante contribution
hongroise des années 1930 qu’elle présente.
Hommage à Doisneau, cette exposition rend ainsi vivace et
didactique le souvenir de l’attention généreuse que
celui-ci a toujours su porter à ses contemporains.
Annie-Laure Wanaverbecq
Directrice artistique de la Maison Robert Doisneau
Photo de
couverture :
Goran Tacevski
Identités
méditerranéennes
Photographie contemporaine
La Fontaine obscure / Voir, 1991
La Méditerranée comme rébus
Parler de l’image ne va pas de soi, pas encore. Parler de
la Méditerranée est une entreprise périlleuse, et
aujourd’hui plus que jamais. Que peut bien vouloir
signifier, dans ces conditions, parler d’une image
méditerranéenne ?
[…]
Tout en témoigne, on fait des images en confrontant la
totalité de celles que l’on a en tête avec l’idée que l’on
se fait du réel et, comme si cela ne suffisait pas, on est
également confronté à l’idée que l’on se fait de la façon
dont les autres vous regardent, et regardent le réel. La
Méditerranée m’apparaît d’abord comme le lieu exemplaire de
cette double confrontation et comme le prétexte à déployer
les battants d’un jeu de miroirs où, de vertiges en mises
en abîme, de pièges en fausses pistes, le proche et le
lointain se télescopent, le vrai et le faux s’imbriquent,
le faux ayant souvent l’air plus vrai que le
vrai :
un authentique labyrinthe en effet. Une grande partie des
images réunies ici me semble participer de cette
problématique de la confrontation avec l’Autre, laquelle,
selon les cheminements qu’elle adopte et les stratégies
qu’elle met en œuvre, définit les contours et épouse les
méandres d’un véritable « espace de la
séduction ». À la croisée des regards, la Méditerranée
est avant tout le prétexte à des jeux de séduction. Sans
doute faut-il considérer que la mise en scène du mythe
méditerranéen, dont il serait assez facile de répertorier
les principaux éléments (l’olivier, le blé, la vigne, la
lumière et la chaleur, l’archaïsme, la nonchalance, la
volupté, les rythmes et l’emphase, etc.) et à laquelle
certaines images réunies ici n’échappent pas, sans doute
devons-nous considérer qu’il s’agit là d’un premier stade
de l’entreprise de séduction, que seuls les plus rompus
d’entre nous à l’art subtil de séduire, feindront de
mépriser. J’y vois pour ma part une démarche
attendrissante :
la conscience aiguë, douloureuse parfois, qu’il serait
nécessaire de se conformer à ce que l’on suppose être le
regard que l’Autre vous porte, afin de le capter et de le
retenir. D’où un certain conformisme en effet et une sorte
de fatalité dans le prélude à toute rencontre possible.
Stéréotype ce regard ?
Sans doute, mais ni plus ni moins que celui que l’on porte
sur les stars du cinéma. J’ai une passion pour les stars du
cinéma et la Méditerranée en est une. […]
Il y a toujours, en Méditerranée, un mur à l’arrière-plan
de nos désirs, mais sans doute est-ce ici comme partout
ailleurs ?
Au commencement était le paradoxe, il demeure.
Gilbert Beaugé
FRAC
Région Provence-Alpes-Côte d’Azur
Acquisitions 1982-1988
Fonds régional d’art contemporain PACA, 1988
Le catalogue du Fonds régional d’art contemporain
Provence-Alpes-Côte d’Azur qui réunit l’ensemble des
acquisitions de 1982 à 1988 est un « objet
miroir » :
en même temps qu’il véhicule l’image d’une réalité
d’engagement de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur dans
le secteur des arts plastiques, il donne le bilan de son
activité dans le temps.
Il est regard de notre histoire et approche sensible de son
futur développement. Il est donc ce qui est et ce qui peut
être. Il est lieu de certitude et d’interrogation.
Il est aussi « objet de références » pour les
artistes, les galeristes, les critiques d’art, les
historiens, les conservateurs de musées, enseignants,
étudiants scolaires pour le public amateur ou potentiel,
collectionneurs ou en puissance… Il est de ce fait
« objet tremplin » grâce auquel les différents
acteurs ou utilisateurs de l’Art peuvent projeter et bâtir
des prospectives qui peuvent concourir à développer une
synergie dans ce domaine de la création contemporaine.
Que ce catalogue s’ouvre donc sur une pluralité de
manifestations événementielles dont vous êtes peut-être les
futurs artisans.
Le Fonds régional d’art contemporain poursuit sa mission
d’acquisitions pour enrichir sa collection, et sa diffusion
sous forme d’expositions, de prêts, de dépôts mettant en
relation le public et la création contemporaine, car c’est
de la confrontation avec les Œuvres d’Art que naîtront les
nouveaux amateurs de l’Art contemporain…
Bernard Muntaner
Directeur du FRAC
Histoire
des galeries de la Fnac
Fnac, 1983
30 ans déjà…
L’histoire de la photographie en France se confond avec
celle de la Fnac. Depuis trente ans ou presque, l’amateur,
qu’il soit averti ou photographe occasionnel, sait
instinctivement ce qu’il doit à la Fnac pour développer son
art ou créer au fil des années ses précieux souvenirs.
L’essor de la Fnac en effet suit celui de la photographie,
à tel point qu’on peut se demander si un deus ex
machina n’a pas réglé cette double évolution. En
réalité, la Fnac est née par la photo, Max Théret et André
Essel ayant compris dès 1954 à quelles attentes elle
correspondait.
Pourquoi la photo d’abord et pas, comme ce fut le cas par
la suite, le disque, le livre, ou la radio qui allait
devenir la hifi ?
Par goût sans doute, les deux fondateurs ayant la passion
de la photo et recherchant par conséquent les dernières
nouveautés, mais aussi parce que la photo et ses
prolongements cinéma et vidéo constituent l’art du siècle
pratiqué par tous.
Comme l’explique plus loin Gil Mijangos, responsable
jusqu’en 1983 des galeries de la Fnac, « la photo est
un moyen d’expression nouveau, révolutionnaire, qui
subjugue et étonne par son apparente facilité
d’utilisation… » Pas besoin d’apprentissage. À la
limite, nous sommes tous des photographes-nés. Ce n’est
qu’après qu’on s’aperçoit que ce n’est pas si facile et
qu’entre l’amateur et le professionnel ou l’artiste, il y a
tout le mystère de la création. Mais pendant un instant, le
temps de la prise de vue, qui n’a pas ressenti l’illusion
d’être enfin devenu un photographe ?
C’est pour avoir eu cette intuition fine du rêve absolu de
l’humanité, qui consiste à fixer le temps, que la Fnac a
réussi. […]
L’histoire des galeries, c’est celle des artistes mais
aussi de tous les amoureux de la photo qui, au-delà du
simple souvenir, recherchent autre chose du monde, en le
recréant à leur manière ou en s’en faisant témoins d’une
façon incomparable. On reconnaît une photo de Capa d’une
photo de Cartier-Bresson, on apprend surtout à voir ce que
la photographie veut dire quand elle est pratiquée avec art
et sensibilité.
L’œil du photographe est cette cellule inimaginable qui
donne de la densité à toute chose, l’appareil n’étant plus
alors qu’un instrument, un passage obligé pour fixer
l’éternité. Art vivant, la photographie n’a de cesse de se
remettre au goût du jour et, en créant ses galeries au cœur
même de ses magasins, la Fnac lui rend un hommage tout
aussi vivant à longueur d’année.
C’est cette histoire que nous vous racontons ici avec des
photos, bien sûr, mais avec des faits également, puisque
depuis trente ans déjà la photographie, la Fnac et les
photographes entretiennent les meilleurs rapports.
L’Almanach
de la Photo 81
L’Almanach de la Photo, 1980
Les images se font de plus en plus pressantes, dérivent sur
le quotidien et s’infiltrent dans notre subconscient. Elles
nous arrachent à la mollesse, nous foutent en crise,
excitent notre imagination et rafraîchissent nos souvenirs.
Les images se travestissent pour nous séduire et deviennent
ces moments magiques auxquels nous accrochons notre
inconscient collectif.
La photographie, comme la musique ou le cinéma, c’est
d’abord une thérapeutique, le stimulant créatif par lequel
on sort de l’impasse pour communiquer avec l’autre. C’est
la réalité artistique en pleine mutation.
La photographie est aussi ce marché tout neuf qui
s’organise sous nos yeux, des expositions diverses qui
attirent un public jeune et passionné. Elle est
l’expression de ce foisonnement visuel qui s’exprime de
façon contradictoire, dans les publications officielles et
les impressions sauvages. L’Almanach de la Photo
se veut le témoin et le cristallisateur de ce
bouillonnement culturel. Une fois par an, il se propose
d’être au centre du débat. Instrument pratique, rapporteur
méthodique des événements majeurs de l’année, il est la
source de toutes les informations et des conseils utiles.
L’Almanach de la Photo est sans conteste
l’assistant indispensable et l’objet de référence qui ne
cessera de stimuler agréablement les pupilles… Ce forum qui
manquait à la photographie.
Claude Nori
Jeune
Photographie
45 bourses, achats, commandes 1976-1980
Fondation nationale de la photographie, 1980
Jeune Photographie
… puisque aussi bien ces 45 bourses, achats ou commandes
1976-1980 de la Fondation nationale de la photographie
viennent composer, comme en un puzzle, sinon un visage
unique, du moins les profils nouveaux d’une photographie
française contemporaine […]. Elle se cherche, et c’est en
la cherchant que nous avons pour notre part trouvé ces
fleurs, dont les fruits passeront bientôt, passent déjà,
les multiples promesses. […]
Cette création bouillante aboutit aujourd’hui à une
exposition, à ce catalogue, qui vont être vus et revus. Aux
visiteurs, aux spectateurs, aux critiques, à tous ces
regardeurs dont Paulhan disait qu’ils
« faisaient » la peinture – ou la photographie –,
laissons sans autres commentaires le plaisir d’aimer ou
non, tantôt en sachant très bien, ou au contraire sans trop
savoir « pourquoi » ;
tandis que « nos » 45 photographes sourient
derrière leurs objectifs, avec le sentiment réconfortant
(mais si, mais si !)
du devoir accompli.
Dans le cadre de ses modestes moyens, la Fondation
nationale de la photographie aura ainsi contribué à
enrichir le patrimoine, à favoriser la création, à faire
connaître ces noms nouveaux, ces images encore jamais vues.
À mettre un peu d’ordre dans le désordre de la jeunesse…
Peut-être, pourquoi pas ?
À tout hasard, mais toutes réflexions faites, des risques
ont été pris. À vous de juger ;
à eux de faire la preuve (par 45), la défense et
l’illustration de ce que nous avions mission de
discerner :
une Jeune Photographie.
Bernard Chardère
Délégué général de la Fondation nationale de la
photographie (1978-1982)
Photo de
couverture :
anonyme
Photo-journalisme
Festival d’automne à Paris / Fondation nationale de la
photographie, 1977
– Pourriez-vous expliquer brièvement quel était votre
propos lorsque vous avez décidé de cette exposition
« Photo-journalisme » ?
– Le mieux serait sans doute de dire d’abord ce que je n’ai
pas voulu faire !
D’abord cette exposition ne prétend être ni exhaustive, ni
objective :
elle est bien loin de présenter tous les photographes
français ou tout ce qui s’est fait en matière de
photo-journalisme ces dix dernières années. Je n’ai pas
cherché non plus à montrer une histoire événementielle,
construite – le propos n’étant pas d’illustrer l’histoire
de France par la photographie.
– Quelle définition donneriez-vous du terme
« photo-journalisme » ?
– Le photo-journalisme est souvent confondu par le grand
public avec le photo-reportage. Ces deux types de
photographies sont utilisées par la presse, mais elles le
sont différemment. En effet le reportage suppose une
approche photographique de l’événement dans sa durée. Il y
a travail dans le temps, enquête approfondie. Un journal
pourrait, par exemple, envoyer un reporter pour un mois
dans un pays enquêter sur un sujet donné :
si X a tué Y, il y a lieu d’étudier les conditions de vie,
le milieu, les raisons qui l’ont poussé à cet acte… À la
limite, deux reporters pourraient, à partir d’une même
situation, bâtir des suites d’images entièrement
différentes :
ce sont l’approche, les opinions, la personnalité qui
« font » la photo de reportage. Au contraire,
dans le cas de photo-journalisme, la différence de point de
vue ne serait pas ou peu sensible. Le photo-journaliste est
envoyé par l’agence à un moment précis, dans un pays donné,
là où « quelque chose » se produit. Il doit
ramener la photo, le document choc. S’agissant de fixer un
événement exceptionnel, unique, irreproductible, le mérite
du photo-journalise est sa présence, son sang-froid. D’où
la formule bien connue des journaux :
« notre photographe était là ».
– Combien de photographies rassemble
l’exposition ?
– Environ deux cents, venant de soixante-douze
photographes.
Interview de Pierre de Fenoyl par Carole Naggar (extrait)
A
certain image of the french photography
Fondation nationale de la photographie, 1977
Photography is never objective – and neither is the choice
of photographs in this exhibition. However, at the
Fondation nationale de la photographie, we believe they
represent the major trend of photography today.
Behind this trend with its strange vision of reality lies a
solid tradition of classical reportage. The photographers
grouped here do not break with this tradition – but go far
beyond it. They observe the most banal facet of everyday
existence with the same passion they would bring to a
battlefield. The object photographed is less and less
important. What counts is the artist’s personal perception
of it. These photographers follow their own rhythm and are
sole judges of what they express. Through their work they
give us a different image of our lives, something all too
rarely glimpsed in the media.
The Secrétariat d’État à la Culture has requested the
Fondation de la photographie to gather and exhibit examples
of every trend in photography since its beginnings. Our
primary purpose, howewer, will be to enable all
contemporary who are serious in their search for quality to
show and circulate their works as Widely as possible.
In France, we don’t know enough about what’s happening in
photography in the United States and we believe the
converse is true for Americans who seldom see what our
photographers are doing.
This exhibition has been booked until october 1977 and will
be travelling throughout the States until then. We’re very
happy it has been so successful and hope that this will
promote future exchanges of exhibitions and photographers.
We are most anxious to continue these exchanges.
Pierre de Fenoyl
Director of the Fondation nationale de la photographie
(1976-1978)
La photographie n’est jamais objective – pas plus que
ne l’est le choix des photographies de cette exposition.
Toutefois, à la Fondation nationale de la photographie,
nous croyons qu’elles représentent la tendance principale
de la photographie d’aujourd’hui.
Derrière cette tendance avec sa vision étrange de la
réalité, se cache une solide tradition du reportage
classique. Les photographes réunis ici ne rompent pas avec
cette tradition – mais vont bien au-delà. Ils observent la
facette la plus banale de la vie quotidienne avec la même
passion qu’ils mettraient sur un champ de bataille. Le
sujet photographié est de moins en moins important. Ce qui
compte c’est la perception personnelle qu’en a l’artiste.
Ces photographes suivent leur propre rythme et sont seuls
juges de ce qu’ils expriment. À travers leur travail, ils
nous donnent une image différente de notre vie, quelque
chose de trop rarement perçu par les médias.
Le Secrétariat d’État à la Culture a demandé à la Fondation
de la photographie de rassembler et exposer des exemples de
toutes les tendances de la photographie depuis ses débuts.
Notre intention première sera, toutefois, de permettre à
tous ces photographes soucieux de qualité d’exposer et
diffuser leurs travaux de la façon la plus large possible.
En France, nous ne connaissons pas suffisamment ce qui se
passe en photographie aux États-Unis, et nous croyons que
la réciproque est aussi vraie pour les Américains qui
voient rarement ce que produisent nos photographes.
Cette exposition a été programmée jusqu’en
octobre 1977 et poursuivra sa tournée à travers les
États-Unis jusqu’à cette date. Nous sommes très heureux du
succès qu’elle a rencontré et espérons que cela permettra
de faciliter de futurs échanges d’expositions et de
photographes. Nous sommes particulièrement désireux de
poursuivre ces échanges.
Pierre de Fenoyl
Directeur de la Fondation nationale de la
photographie (1976-1978)
Photographie
actuelle en France
Contrejour, 1976
1976 : en réunissant, pour la première fois en France,
quatre-vingts photographes dans un livre et une exposition,
nous avons voulu dresser un bilan de la production créative
de la photographie actuelle. Une année de recherches et de
contacts multiples a été nécessaire à la réalisation de ce
projet, avec une sélection à opérer parmi plus de mille
documents qui nous paraissaient importants.
La photographie en est aujourd’hui à une étape cruciale de
son histoire. Elle tente de se fondre dans la vie et de se
détourner de sa fonction, technologique et nostalgique à la
fois, dans laquelle elle était enfermée depuis son origine.
Elle ne cesse, à présent, de dénoncer la prétendue
crédibilité du cliché, et de questionner la réalité dans
laquelle elle se veut de plus en plus présente.
Moyen d’expression véritablement à la portée de tous, la
photographie est aujourd’hui pratiquée par des créateurs
issus des couches sociales les plus diverses, mais qui
n’avaient que rarement des possibilités de se rencontrer.
Le livre se veut un témoignage et une source de réflexions.
Il s’agissait de mettre un moteur en marche, de précipiter
le cours trop limpide des choses, en formulant des
propositions pour une nouvelle photographie, et en donnant
des points de repère à critiquer et à dépasser si
nécessaire.
Photo de
couverture :
Martine Franck
Le
Groupe Viva
Galerie du Château d’eau, 1976
Le photo-journalisme selon le groupe
« Viva »
[…] Lorsqu’on parlait de photographie il y a un siècle, on
pensait seulement aux portraitistes. Les travaux du
Français Charles Guillaume vers 1880 marquent le départ
d’une ère nouvelle, permettant aux journaux et magazines
d’utiliser l’image tramée en même temps qu’un texte
composé :
c’est l’élément décisif qui préside à la naissance du
photo-journalisme. […]
C’est le Berliner Illustrierte Zeitung en
Allemagne, L’Illustration ou Vu en France
en 1928, le Picture Post en Angleterre et
Life aux États-Unis en 1936 ;
le prospectus de ce dernier disait en substance :
« Voir la vie, voir le monde, être les témoins des
grands événements, scruter les visages des pauvres, les
attitudes des prétentieux, examiner toutes ces choses
étranges que sont les machines, les armées, les
foules ;
deviner les ombres de la jungle et la lune ;
considérer l’homme au travail, ses peintures, ses
monuments, ses découvertes ;
capter au loin à des milliers de kilomètres les choses
cachées ou enfermées derrière les murs ou
dangereuses ;
voir ces femmes qu’aiment les hommes et tous leurs
enfants ;
voir, jouir de voir, s’étonner de voir, s’enrichir. »
Il est difficile de faire une sélection exhaustive parmi
tous les photographes de valeur dont les images ont
illustré ces premiers magazines internationaux. Ce n’est
pas le propos de ce catalogue, mais cependant je voudrais
rendre hommage, avec le consensus de mes jeunes confrères
du groupe Viva, aux premiers auteurs de notre histoire
contemporaine en image ;
j’espère qu’il nous sera possible dès que nous en aurons
les moyens de montrer leur œuvre aux visiteurs du Château
d’eau :
Alfred Eisenstaedt le père du photo-journalisme, Erich
Salomon, Brassaï, Bill Brandt, Henri Cartier-Bresson, David
Seymour, Werner Bischof, Robert Capa, Gene Smith et
quelques autres.
Les photographes du Groupe Viva héritent de la voie tracée
par tous ces pionniers du récit photographique
d’actualité ;
comme eux, ils se sentent absorbés dans le peuple, dans ce
qu’il fait, dans ce qu’il pense et dans ce qu’il souhaite.
Comme eux, ils sont tout simplement captivés sans cesse par
la vitalité avec laquelle les gens mènent leur vie, les
grands, les petits, les fameux, les obscurs. Ce sont ces
gens et ces vies qu’ils essayent de capturer en image et en
mots avec l’enthousiasme de leur jeunesse, la chaleur de
leurs sentiments, la compréhension de leur intelligence et
l’admiration de leur moralité.
Jean Dieuzaide