Couverture du catalogue (recto) de l’exposition « Le Groupe Viva » à la galerie du Château d’eau, Toulouse, 1976.
Photo de couverture: Martine Franck
« Le Groupe Viva »
Galerie du Château d’eau, Toulouse, 1976
Side Gallery, Newcastle, 1977

Le photo-journalisme selon le groupe « Viva »

« La mission de la photographie, disait Edouard Steichen, ami du Grand Stieglitz, est d’expliquer l’homme à l’homme et aussi l’homme à lui-même. »

Lorsqu’on parlait de photographie il y a un siècle, on pensait seulement aux portraitistes. Les travaux du Français Charles Guillaume vers 1880 marquent le départ d’une ère nouvelle, permettant aux journaux et magazines d’utiliser l’image tramée en même temps qu’un texte composé: c’est l’élément décisif qui préside à la naissance du photo-journalisme. En réalité, il prend son essor au lendemain de la Première Guerre mondiale lorsque Ernst Leitz met sur le marché allemand le fameux appareil de petit format « Leitz-Camera ».

Pardonnez-moi ces quelques notes sur l’histoire de la photographie; il est important de situer cette période où pour la première fois toutes les manifestations sont « couvertes » aussi bien dans leurs fastes officiels que dans leurs coulisses… pour être portées à la connaissance du monde entier!

C’est le Berliner Illustrierte Zeitung en Allemagne, L’Illustration ou Vu en France en 1928, le Picture Post en Angleterre et Life aux États-Unis en 1936; le prospectus de ce dernier disait en substance: « Voir la vie, voir le monde, être les témoins des grands événements, scruter les visages des pauvres, les attitudes des prétentieux, examiner toutes ces choses étranges que sont les machines, les armées, les foules; deviner les ombres de la jungle et la lune; considérer l’homme au travail, ses peintures, ses monuments, ses découvertes; capter au loin à des milliers de kilomètres les choses cachées ou enfermées derrière les murs ou dangereuses; voir ces femmes qu’aiment les hommes et tous leurs enfants; voir, jouir de voir, s’étonner de voir, s’enrichir. »

Il est difficile de faire une sélection exhaustive parmi tous les photographes de valeur dont les images ont illustré ces premiers magazines internationaux. Ce n’est pas le propos de ce catalogue, mais cependant je voudrais rendre hommage, avec le consensus de mes jeunes confrères du groupe Viva, aux premiers auteurs de notre histoire contemporaine en image; j’espère qu’il nous sera possible dès que nous en aurons les moyens de montrer leur œuvre aux visiteurs du Château d’eau: Alfred Eisenstaedt le père du photo-journalisme, Erich Salomon, Brassaï, Bill Brandt, Henri Cartier-Bresson, David Seymour, Werner Bischof, Robert Capa, Gene Smith et quelques autres.

Les photographes du Groupe Viva héritent de la voie tracée par tous ces pionniers du récit photographique d’actualité; comme eux, ils se sentent absorbés dans le peuple, dans ce qu’il fait, dans ce qu’il pense et dans ce qu’il souhaite. Comme eux, ils sont tout simplement captivés sans cesse par la vitalité avec laquelle les gens mènent leur vie, les grands, les petits, les fameux, les obscurs. Ce sont ces gens et ces vies qu’ils essayent de capturer en image et en mots avec l’enthousiasme de leur jeunesse, la chaleur de leurs sentiments, la compréhension de leur intelligence et l’admiration de leur moralité.

Dans une époque où tant de jeunes photographes se prennent au sérieux avec leurs appareils éminemment flatteurs pendus à leur cou et se pressent le front pour repenser le monde, l’équipe Viva, c’est certain, fait figure de nouvelle école. On a même écrit: nouveau style.

« D’accord, dit-elle, si l’on compare notre production à celle des nombreux et médiocres usurpateurs de l’image, fossoyeurs de notre métier. »

Le dénominateur commun des membres de l’équipe Viva est: « Moralité - Intégrité », la règle essentielle du photographe-reporter d’hier, d’aujourd’hui, de demain.

« À ces mots, les gens me regardent avec des yeux ronds, dit l’un d’entre eux (1). Dans une société où l’on voit des photographies tenir avant tout du narcissisme sans souci de qualité d’image, nous avions une place à prendre: l’attitude inverse. »

« Anormalement normal » pour notre époque, disent certains et qualifient la démarche de « rétrograde et d’artisanale ».

En fait, la communauté Viva a fait école, en particulier en Suède et au Québec. Elle séduit aussi de plus en plus certains chefs des services photographiques: ils acceptent mieux leurs documents, au détriment du sensationnel à tout prix des agences soucieuses avant tout de faire commerce de l’image: c’est un enseignement que la photographie porte à son crédit tous les jours.

Malgré les tracas et les soucis économiques de la presse, le marché américain se développe dans ce sens. André Pozner, critique averti, prévoit de ce fait pour Viva un rôle important à jouer et du pain sur la planche.

« La photographie est une espèce nouvelle d’images où le sujet intervient directement. Elle reste à peine explorée dans ce qu’elle a de nouveau. »

Pour mes jeunes confrères, elle est aussi un défi au fatalisme et à la morosité de notre époque, une explosion, forte de leur personnalité, un cri spontané face à la vie: VIVA!

Jean Dieuzaide
in catalogue de l’exposition « Le Groupe Viva »
Galerie du Château d’eau, Toulouse, 1976.

1. Zoom, n° 27, décembre 1974.

Couverture du catalogue (verso) de l’exposition « Le Groupe Viva » à la galerie du Château d’eau, Toulouse, 1976.
« Le Groupe Viva »
Galerie du Château d’eau, Toulouse, 1976
Side Gallery, Newcastle, 1977
Avec, de gauche à droite:
Claude Raimond Dityvon, Yves Jeanmougin, Hervé Gloaguen,
Martine Franck, François Hers et Michel Delluc.